Les Retrouvailles [PV. Shino]

Tandis que la nouvelle vie de l'étrangère venait de commencer, toutes les questions qu'elle ne s'était pas posées revenaient dans sa tête. Surtout les questions par rapport à son enfance, et sa sœur... Elle avait encore du mal à y croire aujourd'hui, et sa gorge se serrait à chaque fois qu'elle y pensait. Sa sœur, sa douce sœur, celle qui lui avait tout appris, qui l'avait protégée, était morte... Rien qu'à cette idée, elle serrait très fort la garde de son épée dans sa main, devant aller jusqu'à s'infliger une telle douleur pour oublier. Cependant, rien n'y faisait, alors elle se levait brusquement, la tête basse. Elle devait aller marcher, sortir, changer d'air, faire quoi que ce soit pour oublier sa sœur. Elle prit son épée, qu'elle rangeait à sa ceinture pour qu'elle retrouve son apparence de petit canif qu'elle pouvait ensuite cacher sous son t-shirt, et elle se mettait à marcher dehors, d'un pas lourd et rapide. Elle respirait assez difficilement, des larmes se pointant au coin de ses yeux. Elle avait le corps lourd, et elle pouvait sentir son torse compressé contre elle, son cœur qui battait à cent à l'heure, elle pouvait sentir sa tristesse, sa douleur. Pendant la marche, rien n'allait mieux, tout empirait à vrai dire. Elle cherchait à aller vite, ignorant le monde, ignorant jusqu'aux murs, jusqu'au moment où elle rentrait brusquement dans une personne, dans la cour où elle était venue marcher. Elle fut envoyée un peu en arrière et tombait sur le sol. Elle se relevait machinalement, s'époussetait un peu et s'excusait rapidement, sans même regarder la personne. Elle marchait ensuite droit devant elle, toujours la tête aussi basse, jusqu'à un moment où, levant les yeux, elle venait de comprendre quelque chose... Non, c'était probablement son imagination.

Alors que la jeune fille passait son chemin, un léger air de musique parvint à ses oreilles. Connaissant le proverbe « La musique adoucit les mœurs », elle se décidait à se retourner et à approcher de la musicienne. Elle ne levait pas la tête, comme en signe de deuil. Cette musique, pourtant, n’adoucissait rien du tout, non, bien au contraire, plus elle écoutait la musique, et plus cela la faisait souffrir. Sans rien dire, elle s'approchait de la musicienne, et s'arrêtait face à elle. Elle ne levait pas encore la tête, mais elle parlait déjà

Pourrais-tu jouer quelque chose de plus... Joyeux ?

Elle levait ensuite les yeux, fermant son œil humain pour ne pas montrer ses émotions. Le problème, c'est que de son œil violet, elle ne voyait pas à qui elle faisait face... En face d'elle se trouvait un démon informe. Elle ne disait rien, elle y était habituée, jusqu'au moment ou quelqu'un lui fit remarquer qu'elle faisait face à quelqu'un qu'elle connaissait bien. Ouvrant son autre œil, elle n'y croyait pas. Elle restait alors ainsi, un peu silencieuse, ne sachant que dire où que faire, avant d'étreindre brusquement sa sœur. Elle ne parlait plus, ses mots se perdant dans sa tête, et un peu de sang montant à sa gorge. Elle s'en fichait, en ce moment, la seule chose qui comptait, c'était que sa sœur était vivante... Et dire qu'elle avait perdu espoir. Elle n'aurait jamais du !

Sa sœur venait de l'attraper et elle l'emmenait en direction d'un banc, dans un coin. L'étrangère ne se débattait pas de l'étreinte de sa sœur, elle n'en avait que très peu à faire des circonstances en ce moment, la seule chose qui comptait, c''est qu'elles étaient de nouveau ensemble... Mais elle avait beau se dire ça, elle ne savait pas pourquoi, elle gardait une certaine douleur, quelque chose en elle qu'elle n'arrivait pas à combattre. Elle fut ensuite placée sur un banc où elle baissait la tête et n'osait pas regarder sa sœur dans les yeux. Après tant d'années, elle devrait ressentir de la joie, elle devait pleurer, même... Mais non, elle avait l'impression que... Elle ne l'avait jamais quittée.

- Claire c'est bien toi pas vrais ?! 
Je suis si heureuse je croyais t'avoir perdue se jour là ... 
Je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu te protéger en étant petite ... 

L'apostrophée ne dit rien, elle entendit sa sœur se placer à coté d'elle, et elle sentait son regard sur elle. Elle ne voulait pas devoir lui parler de cet étrange sentiment, mais elle allait bien devoir. D'un coup, elle commençait à parler, n'affichant que peu d'émotions dans ses paroles, comme si elle cherchait à intérioriser quelque chose. ¶

- Tu n'as pas à t'excuser, nous ne pouvions rien faire. Ce qui compte, c'est que nous sommes maintenant réunis.

Ensuite, sans rien dire d'autre, elle se reculait un peu sur son banc, et puis un petit sourire naquît au coin de ses lèvres...

- Et maintenant... Dis moi TOUT ce qui c'est passé pendant toutes ses années... Je veux TOUT savoir.

Cette fois, elle était encore plus souriante, à vrai dire, elle rayonnait même. Forcément, à l'idée de quelque détail croustillant, elle ne pouvait déprimer. La vie de sa sœur l'intéressait, elle voulait juste savoir tout sur elle... Elle la regardait ainsi, avec cet air faiblard qu'on lui connaissait.

Tandis que sa sœur lui racontait son histoire, la jeune fille ne disait rien, tête basse. Elle sentait son esprit partir doucement sans qu'elle ne puisse rien y faire tandis que les mots venaient et éveillaient des images en elle... Elle la laissait parler de tout son histoire, s'abstenant de faire toute remarque, et elle se sentait au fur et a mesure plus proche d'elle... Mais en même temps, elle était partie, bien plus loin que ce que l'être humain peut atteindre. Elle vacillait un peu sur sa chaise, et elle lâchait une petite larme, pas de tristesse, de douleur.

- Je comprends tout... Une vie sous de mauvaises auspices, que le monde t'auras donné, pour sur... Mais maintenant, il te faut être prête à retrouver une vie habituelle, Ulysse lui-même avait Pénélope, comprends-tu ?

Elle baissait alors un peu la tête, dans son cerveau se filait cette métaphore, et elle grognait alors un peu, s'écrasant contre le fond du banc pour ne pas tomber, et basculant la tête en arrière pour regarder le ciel, la bouche grande ouverte. Quand elle descendit enfin la tête, ce n'était que pour tousser, poussant hâtivement sa main contre sa bouche et la replaçant nonchalamment contre le siège.

- Moi, mon histoire n'est guère intéressante de sa banalité, je t'en ferais donc don, car nous n'avons jamais conté les récits des personnes les plus simples.

Elle baissait ensuite de nouveau la tête, s'avançant un peu sur le banc, regardant l'herbe sous ses pieds en silence, et elle tournait ensuite la tête vers sa sœur, en lui affichant un mince sourire. Ses pensées volaient, allaient et venaient, et elle était incapable de les maintenir en place, ainsi que la formulation de ses mots. Situation conflictuelle entre ses personnalités, et, pour maintenir le dessus, elle devait se pousser à bout, se pousser jusqu'au sang... Elle aurait tellement voulu lui dire, à sa sœur, qu'elle bravait la douleur pour elle, elle aurait voulu lui dire, lui montrer son courage, car même maintenant, elle gardait sa sœur comme idole. Elle avait témoigné d'un tel courage... Quelque chose comme ceci ne pouvait bien venir que de sa sœur. Elle arrivait alors, en se concentrant un peu plus, à repérer une sorte d'appréhension de sa sœur... Elle ne comprenait pas. Elle lui faisait alors encore face, avec ce même sourire. Elle devait être trop triste pour avoir bien jugé... Sa sœur, telle qu'elle la connaissait, ne pouvait pas avoir peur, non, sa sœur était forte et courageuse... Et c'est à ses pensées qu'elle essuyait les derniers résidus de ses larmes d'une main.